La finance islamique (FI) est apparue dans les années 1970, accompagnant l'avènement d'un islam politique. Mais elle a survécu à son déclin, profitant de la mondialisation financière.C'est depuis 2001 que sa croissance est devenue exceptionnelle (15% par an), en effet, les fonds des pays du Golfe ont été massivement rapatriés vers leurs pays d'origines après les événements du 11 septembre.
Aujourd'hui la FI pèse plus de 300 milliards de dollars et se pratique dans plus de 75 pays.
LES FONDEMENTS
La FI se fonde sur l'interdiction par l'Islam du riba, terme signifiant à la fois usure et intérêt. Le riba est condamné par le Coran au chapitre 2 (sourate de la Vache), 3, (sourate de la famille de imran), et 30 (sourate des Romains), mais aussi dans les hadiths, actes et paroles du Prophète Mohammed, qui forment la sunna. Cette dernière et le Coran constituent la sharia autrement dit la loi islamique.
La FI se définit donc comme l'ensemble des modes de financement ayant été adopté par les musulmans respectant l'interdiction de l'usure et de l'intérêt.
Durant le Moyen-Age et la Renaissance, l'interdiction du riba fut le plus souvent contournée par le recours à des hiyal (astuces, ruses) tels que la vente à crédit appelée le bay'al 'ina (double vente). Il s'agissait d'utiliser le bien échangé comme d'un pretexte au crédit. Prenons un exemple, le prêteur vendait un produit quelconque à l'emprunteur pour 50 dinars, payables à terme. Mais il lui rachetait immédiatement ce produit pour 45 dinars, ce dont a besoin l'emprunteur, qu'il paye au comptant. Ainsi le prêteur gardait sa marchandises et avait transféré 45 dinars à l'emprunteur. Cette pratique grossière se répandit rapidement au delà du monde musulman et fut finalement condamnée par le Concile de Rome dans un décret de 1679.
LES PRINCIPES
La FI considère comme unique fondement de la rémunération de l'argent placé, la rentabilité de l'actif financé et rejete le concept de remunérer de façon fixe et déconnectée de la rentabilité de l'actif financé. Elle exige par ailleurs que les transactions financières se fondent sur une activité économique réelle et prohibe l'investissement dans des secteurs comme le tabac, l'alcool, le jeu, le sexe et l'armement.
La FI incite toutes les parties à une transaction à partager le risque et le bénéfice ou la perte. On peut comparer les investisseurs des banques islamiques à des actionnaires qui reçoivent des dividendes quand la société fait des profits ou perdent une partie de leur économie quand elle fait une perte. Le rendement du contrat islamique est lié à la productivité et à la qualité du projet, pour assurer une répartition plus équitable de la richesse. Les instruments financiers islamiques sont des contrats entre les fournisseurs et les utilisateurs de fonds qui se partagent le risque. La gamme de contrats est assez large et ne cesse de se compléter avec le temps.
Instruments de dette:
la Mourabaha, est un contrat d'achat et de revente dans lequel la banque achète à un fournisseur un bin corporel à la demande de son client, le prix de revente étant fondé sur le coût plus une marge bénéficiaire
le Salam, contrat d'achat comportant la livraison différée des marchandises, il est surtout utilisé pour le financement de l'agriculture
l'Istisna, instrument de financement avant livraison et de crédit-bail utilisé pour le financement de projets à long terme
le Qard al Hasan (prêt grâcieux), contrat de prêt sans intérêt généralement adossé à une sûreté
Instrument de quasi-dette:
l'Ijara, contrat de crédit-bail par lequel une partie lour un bien pour un loyer et une échéance déterminés. Le propriétaire du bien (la banque) supporte tous les risques liés à la propriété. Le bien peut être vendu à un prix négociable, ce qui entraîne la vente du contrat Ijara. Ce contrat peut être structuré sous forme d'une location-vente dans laquele chaque loyer versé comprend une partie du bien convenu, et il peut porter sur une échéance qui couvre la durée de vie prévue du bien
Instruments de partage des bénéfices et des pertes:
la Mousharaka, contrat de prise de participation dans lequel la banque et son client participent ensemble au financement d'un projet. Le droit de propriété est réparti en proportion de la contrinution de chaque partie
La Moudaraba, contrat de fiducie par lequel une partie fournit le capital pour un projet, et l'autre, le travail. Le partage des bénéfices est convenu entre les parties, et les pertes sont supportées par le fournisseur des fonds, sauf s'il y a faute, négligence ou violation des conditions acceptées par la banque.
LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT DE LA FI
La conception d'instruments islamiques pour les opérations monétaires est très difficile. Le champ de la gestion monétaire a été limité par l'absence d'instruments ne portant pas intérêts. L'engagement des banques islamiques est particulièrement liquide et prédispose le système à détenir des reserves excédentaires. L'intermédiation financière est alors freinée.
Le sous développement de ces marchés empêche la banque centrale d'intervenir au moyen d'instruments indirects et encourage l'instauration d'un contrôle direct du crédit.
La Banque Islamique de Développement joue un rôle central dans la création de normes et de procédures internationalement acceptables et le renforcement du secteur dans divers pays. Plusieurs autres institutions internationales se consacrent à la définition de normes conformes à la sharia et à leur harmonisation entre les pays. Ces institutions sont l'Organisation des comptables et vérificateurs des institutions financières islamiques (AAOIFI), le Conseil des services financiers islamiques (IFSB), le Marché financier islamique international, le Centre de gestion des liquidités et l'Agence de notation islamique internationale. Quand ces normes internationales seront élaborées et acceptées, elles offriront aux contrôleurs une visibilité plus grande sur la solidité, la stabilité et l'intégrité des établissements financiers islamiques.
Par ailleurs, le manque de données agrégées rend presque impossible la comparaison des banques islamiques d'un pays à l'autre. Il n'existe aucunes données sur les activités transfrontalières des banques islamiques ou le volume des transactions islamiques transfrontalières fondés sur la sharia. Quelques banques centrales, comme au Bahrein, en Malaisie ou en Turquie, commencent à inclure dans leur rapport annuel des informations sur les banques islamiques, en leur consacrant une rubrique à part, avec des données agrégées qui fournissent des informations sur l'ampleur de ces institutions au niveau du pays. Mais des efforts de coopération multilatérale sont souhaitables car ils permettraient de recueillir des informations sur les opérations transfrontalières.
LA FINANCE ISLAMIQUE: UNE FICTION?
Mais finalement la question qui subsiste est la suivante: la finance islamique est-elle vraiment islamique? Il semblerait que non, elle est beaucoup plus hypocrite que l'image qu'on essaie de lui donner. Elle a réussit au gré d'une savante ingénierie financière à trouver des produits conformes aux principes de l'Islam pour remplacer tous les instruments de placement classiques. La dimension éthique qu'était sensée revetir la FI semble marginale, elle ne fait que couvrir d'un vernis « hallal » les instruments financiers traditionnels.
Kadra Ziani
Sources:
Ibrahim Warde, "Paradoxe de la finance islamique", Le Monde diplomatique, Septembre 2001
Betty Wapfler, Les principes de la finance islamique, BIM N°30, Septembre 2002
Lettre Vernimmen, N°51, Octobre 2006, actualité "la finance islamique"